Marcel Paul, de l’Assistance publique au banc de l’Assemblée en passant par Buchenwald : une figure syndicale et communiste - 1ère partie - Archives
Marcel Paul, de l’Assistance publique au banc de l’Assemblée en passant par Buchenwald : une figure syndicale et communiste - 1ère partie
Alors que nous nous apprêtons à commémorer le quarantième anniversaire de la mort d’un des initiateurs de la nationalisation et par là même, de la création du groupe, il nous est apparu nécessaire de revenir sur l’histoire hors du commun de ce pupille de la nation.
La personnalité de Marcel Paul évoque plusieurs facettes : celle du militant syndical, figure majeure et célébrée du syndicalisme des électriciens-gaziers ; celle du militant communiste, dont la place et l’influence précises au sein de l’écheveau du « parti de Maurice Thorez » restent d’ailleurs encore en partie à démêler ; celle du ministre de la Production industrielle, qui a œuvré sans relâche pour la nationalisation des entreprises énergéticiennes telle qu’EDF-GDF et pour l’accompagner du meilleur statut possible pour ses personnels, un combat à la résonance étonnamment actuelle ; enfin, bien sûr, celle du résistant et du déporté, victime de ce que certains historiens nomment la « déportation de répression ».
Cet article n’a pas vocation à revenir sur le rôle primordial joué par Marcel Paul dans le processus de nationalisation et la mise en place du statut gazier (bien connu et documenté par ailleurs) mais au contraire d’analyser « tout le reste » afin de mieux appréhender les raisons ayant pu le pousser à consacrer plusieurs années de sa vie à faire de cet engagement une réalité.
Les débuts
Marcel Paul naquit le 12 juillet 1900 à Paris XIVème sous le nom de Marcel Dubois. Sa mère, Marie Clémentine Dubois, couturière de 21 ans au moment de sa naissance, fit le choix de l’abandonner. Son père, Marcel Paul, né le 12 décembre 1878 à la Roche-Chalais (Dordogne), qui le reconnut pour son fils en mai 1913 à Denain (Nord), mourut le 20 août 1918 au champ d’honneur, dans l’Aisne. Il ne vit jamais son fils.
Devenu pupille de l’Assistance publique, Marcel Paul ne resta probablement que quelques jours à l’hospice. Il fut envoyé à Moncé-en-Belin (Sarthe), près du Mans, un village de « placement nourricier ». Il prit rapidement goût à l’école grâce à son instituteur, dont il parlait avec émotion, et réussit son Certificat d’études. A l’âge de 13 ans, il fut « loué » comme valet de ferme à un petit cultivateur puis, l’année suivante, à un fermier plus aisé. Lorsque celui-ci mourut en 1915, Marcel Paul devint, sous les ordres de la veuve, « l’homme » de la famille.
La guerre fut déterminante dans sa prise de conscience politique. Il trouva un tract des Jeunesses socialistes contre la guerre (selon lui, dès 1915) et ne tarda pas à adhérer à cette organisation, en cachette. Bien des années après, il déclara se souvenir d’avoir participé à deux collectes pour l’envoi de délégués français aux conférences internationales (contre la guerre) de Zimmerwald et Kienthal. En 1917, la Marine ayant besoin de troupes fraîches, l’Assistance publique fut mise à contribution. Marcel Paul se trouva engagé sans avoir réellement donné son accord.
Il passa par deux écoles d’électromécaniciens de la Marine, celle de Lorient puis celle de Toulon. Il en sortit brillamment avec un brevet d’électricien.
Nommé successivement électricien de 2ème classe, de 1ère classe puis quartier-maître électricien, il fut officiellement incorporé dans la Marine nationale le 4 avril 1919 au 2ème dépôt des équipages de la flotte à Brest, avec un engagement de quatre ans. Il embarqua sur le Diderot, cuirassé d’escadre qui nécessitait une main-d’œuvre qualifié et l’on sent déjà pointer son tropisme militant et ses futurs engagements. Il participa à une émeute de marins à Brest en juin 1919 (un de ses amis syndicaliste, Lucien Midol, dira plus tard de lui : « ses idées étaient aussi percutantes que son crochet du gauche », étonnant lorsque l’on sait que Marcel Paul était droitier…). Lors des grèves de 1920, envoyé à la centrale électrique de Saint-Nazaire, il aurait, avec d’autres marins, refusé de remplacer les grévistes et fraternisé avec eux. De juin 1920 à avril 1922, il fut en mer sur des cargos armés, notamment le Toul, et des sous-marins, bourlinguant à travers la Méditerranée. En 1922, dit-il, « j’étais sorti de mon écrasement. J’étais devenu un ouvrier ».
Démobilisé le 4 avril 1922 à Toulon, c’est à Paris qu’il se rendit, se mettant à la disposition de l’Assistance publique. Embauché dans une entreprise de travaux publics du XVème arrondissement parisien, il fut envoyé sur un de ses chantiers de l’Aisne, région dévastée par la guerre et ayant vu mourir son père. Il s’installe alors à Saint-Quentin. C’est le temps de la rencontre avec le mouvement syndical. Il adhéra à la CGTU du Bâtiment (Confédération générale du travail unitaire, liée à l’internationale communiste et ayant existé de 1921 à 1936) et commença à militer. Ayant, d’après son témoignage, été licencié pour avoir participé à une grève, il regagna la capitale et fut embauché courant 1922 comme électricien à la STCRP (Transports en commun de la région parisienne), à l’entretien des caténaires des tramways, au dépôt Didot, porte de Châtillon. Il prit une chambre à Paris, rue Rambuteau. Après une altercation avec un ingénieur, il quitta l’entreprise et travailla à la Compagnie des compteurs de Montrouge où il resta très peu de temps. En avril 1923, il entre au sein de l’ex-société CPDE (Compagnie parisienne de distribution d’électricité). Les premiers jours, il travailla à la centrale électrique de Saint-Ouen qui, avec celle d’Issy-les-Moulineaux, fournissait le courant à Paris.
C’est ainsi que Marcel Paul arriva dans l’industrie électrique, par les hasards de la vie. La centrale de Saint-Ouen, alimentée au charbon, avait de quoi plaire à l’ancien marin, ce type d’usine ayant plus d’un point commun avec un bateau. Toutefois, notre futur pourfendeur des injustices, ne resta que quelques jours à Saint-Ouen. Mais longtemps après, il retrouva cette usine et ne la quitta plus. Du reste, le dernier appartement qu’il occupa, situé 14 cité Marcel Cachin à L’Île-Saint-Denis, donnait sur ladite centrale. Un signe peut-être ? Celui que, jusqu’au bout, il demeura fidèle à ses idéaux.
Ayant une nouvelle fois fait grève le 1er mai 1923, il fut aussitôt muté de la production à la distribution, au service de l’éclairage public, section Etienne Marcel à Paris, comme contrôleur vérificateur de compteurs. Il y travailla jusqu’en 1929. Il s’était marié le 28 avril 1923 avec Suzanne Bailles (née en 1902 à Paris), employée de commerce, mais le couple se sépara assez vite tout en restant en contact jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.
En 1924, il adhéra au PC et jusqu’en 1927, milita à peu près autant sur le plan politique que syndical, cultivant la haine de certains hiérarques (jugés despotiques) comme d’autres leur potager.
Syndicalement, il commença son activité militante comme collecteur pour « l’Avenir social », un orphelinat ouvrier situé à La Villette-aux-Aulnes et patronné par la CGTU et le PC. Jusqu’à la fin de sa vie, il ne cessa de s’occuper de l’enfance malheureuse et, plus généralement, de considérer que les « œuvres sociales » sont une des composantes essentielles du syndicalisme. Promptement, il devint l’un des animateurs du groupe syndical CGTU de la section Etienne-Marcel.
Gageons que l’ancien Prévôt des marchands aurait apprécié… Ce groupe syndical était rattaché au syndicat CGTU des producteurs et distributeurs d’énergie électrique de la région parisienne, syndicat dirigé par les militants de la Ligue syndicaliste, elle-même sous influence du PCF et de la CGT…
Politiquement, il militait au premier rayon du PC. C’est là qu’il se frotta aux débats de l’époque en faisant la connaissance de nombreux militants plus expérimentés. Sur le périmètre circonscris de ce rayon se trouvaient notamment les grandes usines à gaz de la Villette et de Saint-Denis (dont nous avons déjà eu l’occasion de traiter dans un précédent article), foyers révolutionnaires (il y avait eu des grèves avec occupation en 1922 et 1923) où travaillaient des militants avec lesquels Marcel Paul se lia (Émile Dubois, Pierre Kerautret ou encore Corentin Cariou dont le dossier du personnel est conservé au sein d’EDF archives). Du reste, au crépuscule de son existence, Marcel Paul se plaisait à rappeler l’influence qu’avaient eue sur lui les cheminots Gaston Monmousseau, Lucien Midol et Pierre Semard, avec leurs récits et leurs analyses des grèves de 1920. Avec d’autres camarades communistes, il fut emprisonné en 1925 pour action contre la guerre du Rif (guerre coloniale opposant certaines tribus marocaines dites rifaines aux armées espagnoles et françaises).
1927 constitue une année charnière pour la construction cognitive et l’engagement de Marcel Paul. En effet, il était alors secrétaire de la cellule 124 de la CPDE (1er rayon) et secrétaire de la commission « travail syndical » du sous-rayon du IIème arrondissement parisien. En octobre, il fut élu (démocratiquement) membre du comité du 1er rayon. Dans le même temps, il accéda à la direction du syndicat des producteurs après d’âpres luttes d’antichambres. Marcel Paul a alors 27 ans et l’horizon semble se dégager pour notre pupille de la nation. Il perfectionne sa maîtrise des sujets de lutte syndicale en participant à des soirées animées au sein de boudoirs fumants et ce, jusqu’au bout de la nuit.
La même année, au premier congrès de fusion de la Fédération CGTU de l’Éclairage avec la Fédération des Services publics, il fut élu à la commission exécutive, la tendance communiste l’ayant emporté sur celle de la Ligue syndicaliste (cette dernière étant moins proche des paradigmes révolutionnaires russes). Il n’était pas encore un dirigeant national du PC mais il assista néanmoins à la réunion du 21 juillet 1929 à Villeneuve-Saint-Georges, sans doute comme secrétaire d’un syndicat jugé important. Il fut parmi les militants arrêtés et se retrouva « embastillé » à la Santé avec pour seule lettre de cachet « trouble à l’ordre public » (dans une ville totalement acquise puisque à 95% ouvrière…).
Au congrès fédéral de novembre 1931, Marcel Paul fut élu secrétaire de la Fédération CGTU des Services publics et de l’Éclairage, au côté de Bernard Sestacq (un ancien des usines de Citroën, surnommé par certains « l’œil de Moscou »). Quelques jours auparavant, le VIème congrès fédéral CGTU avait réélu Marcel Paul à la commission exécutive (puis réélu en 1933 et 1935) cependant que Léon Mauvais (un tourneur devenu syndicaliste à la suite de la guerre du Rif et qui s’était spécialisé dans les « actions commandos » de la CGTU durant les grèves) accédait au bureau confédéral.
A partir de 1932, l’activité de Marcel Paul prit une dimension plus vaste, devenant si foisonnante, qu’il devient difficile d’en tracer les contours avec exactitude. Avec le syndicat des producteurs et celui des employés, il mena l’action pour un statut unique du personnel des sociétés d’électricité de la région parisienne, préfigurant ses futures luttes. Peu à peu, il se passionna pour les questions de statut du personnel et en devint un des spécialistes reconnus. La même année, il fut l’un des principaux responsables de l’intersyndicale CGTU des Services publics de la région parisienne. En son sein, il s’évertua à mettre sur pied un premier réseau d’œuvres pour le personnel de ce secteur. En avril 1934, 22 rue de Bondy (aujourd’hui rue Renée Boulanger), s’ouvrirent un dispensaire, un service juridique ainsi qu’un groupement d’achats en commun.
L’intersyndicale siégea dans ces locaux, et Marcel Paul, quittant la rue Rambuteau, y élut domicile. Il s’attacha avec force à ces « œuvres », germe de ce qu’il développa à l’EDF-GDF en 1947.
Moins connu est son combat durant cette même période pour l’unité nationale et contre la menace fasciste. Alors qu’il se rendait à une réunion du syndicat des hospitaliers à Marseille le 4 août 1933, il fut agressé par une dizaine d’individus. Rendant coups pour coups avec son fameux crochet (du gauche ?), il fut néanmoins atteint à la tête et laissé sans connaissance. Une infirmière présente, Edmée Dijoud, se précipita pour le protéger et fut sauvagement frappée (elle mourut un mois plus tard). Soigné à l’Hôtel-Dieu, il en fut sorti clandestinement et conduit au domicile d’un militant du syndicat, Monsieur Coitrini, employé à la morgue de l’hôpital.
Marcel Paul suivait de très près l’évolution des idées au sein de la CGT et écrivit trois articles dans la Vie ouvrière, mensuel très en vogue dans les milieux ouvriers à l’époque et bras armé idéologique de la CGT. Les deux premiers jugeaient encourageants les résultats du récent congrès de la CGT des services publics tandis que le troisième analysait le congrès CGT de l’Éclairage et prenait vigoureusement à partie les positions « réformistes » de Clément Delsol (également militant espérantiste). C’est également dans les années 1930 que Marcel Paul et Maurice Thorez (secrétaire général du PCF de 1930 à 1964) commencèrent à se voir régulièrement tout en entretenant une relation épistolaire. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, Thorez fit appel à lui pour les questions économiques et notamment énergétiques. Les deux hommes étaient du même âge, issus de « corporations » voisines, mineurs et électriciens, ils avaient accédé aux responsabilités en même temps (1930 et 1931). Marcel Paul manifesta jusqu’à la fin de sa vie une grande admiration pour Thorez, à plus forte raison pour son rôle dans la réalisation du Front Populaire et dans la bataille du charbon à la Libération. Mais ces deux personnalités étaient peut-être trop proches, pas assez complémentaires, pour parvenir à travailler ensemble au quotidien. Marcel était un être discipliné mais ne goutait guère aux injonctions d’où sans doute le fait qu’il se tint toujours à distance de l’appareil du PC ainsi que de l’International communiste (il ne fit qu’un seul voyage en URSS, en 1963, pour raison de santé).