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De l’occupation à la libération, la seconde guerre mondiale vue par le prisme de la centrale thermique de Saint-Denis - 2ème partie

En septembre 1938, les ventes d’énergie ont été les suivantes par rapport à septembre 1937 (qui avait bénéficié de "l’effet" Exposition internationale) :

  • A Nord-Lumière : + 8%,
  • A la Compagnie parisienne de distribution d’électricité (CPDE) : + 5,8%,
  • A la Compagnie du chemin de fer métropolitain de Paris (Saint-Denis et Ivry) : + 8,7%,
  •  A la Société des transports en commun de la région parisienne (STCRP) : + 0,4%,
  • Moyenne d’ensemble : + 0,9 % (PV du CA de la SEP, EDF archives, boîte 757071).

 

Cette baisse des profits peut être expliquée par les évènements antérieurs de 1936 et 1937. Les tarifs de l’électricité n’augmentèrent pas cependant que les décisions du Front Populaire (augmentation de salaires, loi de 40 heures, congés payés) se traduisirent en 1936 par un bond en avant des coûts. L’année 1937 vit une nouvelle aggravation : le décret-loi du 8 juillet 1937 instaura une taxe de 8% sur les bénéfices réalisés par les entreprises concessionnaires à la suite des marchés passés par elles avec les collectivités. La SEP continua son programme de modernisation dont la mise en route fut décidée à l’hiver 1938, et qui consistait en l’installation d’un quatrième groupe turbo-alternateur représentant une tranche de puissance d’environ 50 000 kW pour la centrale de Saint-Denis haute pression (PV du CA de la SEP, séance du 25 novembre 1938, EDF archives, boîte 757071). Mais l’imminence du conflit vint rapidement contrarier les plans de modernisation.

 

Intrusion de l’occupant dans l’appareil productif   

 


 

Dans la crainte d'éventuels sabotages, la direction se montrait plus vigilante que jamais quant à l'accès dans la centrale

 

La défaite de l’armée française en mai 1940 sonnait l’heure où l’administration et la production françaises devaient marcher au pas de l’oie. Pour la centrale, toute son activité devait désormais servir aux autorités allemandes dans le cadre de sa victoire militaire et de ses nouveaux besoins énergétiques en vue d'alimenter le Lebensraum en construction, « l’espace vitale » nazi.

Ce nouvel arrivant demandait à chaque usine électrique un effort accru dans sa production dans le but de poursuivre son effort de guerre, ce qui engendra un bouleversement dans l’organisation industrielle de la centrale. L’occupation entrainant son lot de pénuries, en particulier des problèmes d’approvisionnement en combustibles, et donc un nouveau rapport entre les différentes sources d’énergies, hydraulique et thermique.

A leur arrivée, les Allemands trouvent une économie déjà largement tournée vers l’effort de guerre. Confirmant leur zélé tropisme pour l’administration et la bureaucratie, ils se chargent d’organiser le système de production de façon à en être les uniques bénéficiaires : l’industrie française tourne désormais pour les besoins de l’Allemagne. Ces derniers exigèrent dès le début de l’Occupation de ne faire fonctionner dans les centrales que les machines nécessitant le moins de vapeur et par voie de conséquence la plus faible consommation en charbon. C’est pourquoi le 12 juin 1940, l’usine de Saint-Denis haute pression a été arrêtée sur ordre de l’autorité militaire et les machines ont été mises hors d’état de fonctionner par démontage des régulateurs des turbines tandis que l’usine de Saint-Denis basse pression a fonctionné du 10 au 26 juin et a fourni durant ce temps près de 3 200 000 kWh. Afin d’éviter tous sabotages ou arrêts intempestifs de la production et de la distribution d’électricité, depuis le 5 mai, un détachement de quinze soldats allemands sous la conduite d’un lieutenant appartenant à une unité du type « électriciens de campagne » vint chaque jour à la centrale HP (Saint-Denis II) de 8h à 14h. Nous savons par ailleurs qu’ils doublaient les agents de conduite aux principaux postes : chaufferie, salles des machines, pompes… Un détachement analogue occupait de la même façon la centrale Arrighi et les deux escouades devaient permuter ultérieurement (PV du CA de la SEP, séance du 16 mai 1941, EDF archives, boîte 757071). Par conséquent, la centrale thermique était considérée comme prioritaire et cela lui assurait sa desserte en charbon. Nous pouvons en déduire qu’elle fut nommée « entreprise d’approvisionnement » (la gestion directe par l’occupant des usines électriques stratégiques fut aussi plus étroite à compter du printemps 1941).

La surveillance de l’occupant se faisait par son implantation direct sur le site. Comme nous l’avons vu précédemment, les soldats allemands effectuaient des rondes auprès des salles des machines et des transformateurs pour assurer une alimentation maximale d’électricité à la ville de Paris, zone stratégique du haut commandement allemand. La protection de la centrale relève alors d’une décision tactique, l’électricité fournie en masse permet d’alimenter les industries et particulièrement celles liées à l’armement, essentielles en période de guerre. Au mois d’août 1941, les autorités allemandes se réservaient la disposition d’un local se situant à côté du poste de gardiennage et faisait office de salle de repos pour les gardiens. Il était placé à l’entrée de la centrale, rue Ampère. Après avoir été transformé en poste de garde et meublé en conséquence, il logea la troupe de manière intermittente. Eu égard à l’importance du site (6 hectares), ils occupèrent également le pavillon des ingénieurs se trouvant au carrefour Pleyel, qui fut réquisitionné le 1er novembre 1943. Un certificat de la ville de Paris apporte des précisions : il les présente comme des aérostiers. Dans le PV du CA de la SEP datée du 4 novembre 1943 (EDF archives, boîte 757071) est indiqué que la direction devança les desiderata de l’occupant en mettant à la disposition des troupes allemandes de l’éclairage électrique et de l’eau courante à l’exclusion de toute installation de gaz, ainsi qu’un terrain de 3 000 m² situé au 92, boulevard d’Ornano pour y disposer d’un baraquement de surveillance. Malgré toutes les précautions et mesures prises en matière de sécurité, les actions contre les centrales (résistances passives et/ou actives), les transformateurs et les lignes électriques, ont redoublé en particulier dès 1944. L’interconnexion avec le Massif Central était constamment interrompue, à cela s’ajoutait la destruction partielle des postes de Chevilly et de Chaingy (Loiret), donnant lieu à des détournements d’alimentation d’énergie en direction de l’Ouest au profit de la région parisienne. Sans oublier qu’au mois d’août 1944, l’ensemble du super réseau à 220 000 et 150 000 V avait été paralysé par des destructions qu’il est impossible de chiffrer en termes de capacité de transport.

Cette intrusion inopportune de départ ne perturbait en rien le fonctionnement quotidien de la centrale puisque les soldats allemands choisis avaient été recrutés parmi les hommes âgés, les « territoriaux ». D’après le témoignage d’Yves Abel (ancien comptable de la centrale), « ils se montraient très discrets. En cas d’alerte, ils couraient les premiers aux abris ».

Les seuls dysfonctionnements que nous pouvons signaler sont de deux ordres. Le premier est l’embrigadement dans les équipes de sécurité d’une partie du personnel, qui s’exposait à un danger de mort. Le second écart correspond aux périodes d’alerte où le personnel n’était plus à son poste de travail car parti se réfugier dans les abris, ce qui aboutissait à de nombreuses coupures électriques. Le seul manque à gagner pour la SEP aurait pu être les réquisitions d’ordre immobilier : alors qu’à l’arrivée des soldats allemands, de nombreuses entreprises dyonisiennes, comme celles travaillant pour la défense nationale, subirent des saisies et pillages, ce ne fut pas son cas. Nous sommes de fait tentés de nous demander si d’une certaine manière, la centrale ne fut pas épargnée, justement dans un but pratique et fonctionnel, car forte de sa puissance électrique, elle devait soutenir l’effort de guerre allemand en approvisionnant les industries choisies pour des raisons stratégiques.

 

Les problèmes d’approvisionnement en combustible 1940-1944

 

Source :

PV mensuels de CA de la SEP (EDF archives boîte 757071).

 

Source :

Rapports annuels des AG de la SEP (EDF archives, boîte 757069).

 


 

La mauvaise qualité des charbons utilisés rendait les conditions d'exploitation souvent difficiles (ci-dessus le tablier transporteur de la chaufferie)

 

A la veille de l’Occupation, les stocks de charbon constitués par la SEP étaient plus que suffisants voire excellents avec un niveau de 60 000 tonnes qui équivalaient à trois mois de consommation d’hiver, de quoi laisser songeur certains gouvernements actuels… Encore peu soucieuses d’économies, les sociétés d’électricité brûlèrent sans ménagement spécial ce charbon de très bonne qualité. La défaite eut de graves conséquences, l’impossibilité d’importer comme avant-guerre, de 20 à 25% de la consommation française en charbon, l’annexion de la Moselle et la mainmise sur les charbonnages du Nord et du Pas-de-Calais (là même où Marcel Boiteux fut un temps envoyé dans le cadre du STO et dont il traite dans son livre autobiographique, Haute Tension), rendaient bien ardue l’alimentation en houille des centrales thermiques. La zone Nord subissait des difficultés de transport de deux ordres, les prélèvements d’une bonne partie des moyens de locomotion et le gel qui perturbaient l’acheminement du combustible auprès des centrales de la région parisienne. Tous les efforts avaient été faits pour combler cette pénurie, notamment par l’appoint de charbons belges (PV du CA de la SEP, séance du 9 février 1940, EDF archives, boîte 757071). La situation des stocks était des plus préoccupante puisque l’utilisation du réseau d’interconnexion afin de réaliser des économies de charbon ne se faisait plus normalement. Les lignes aériennes 220 000 V de l’Est et du Massif Central avaient subi quelques dommages. A ces difficultés s’ajoutèrent les priorités économiques allemandes qui consistaient à pousser plus en avant la production charbonnière et à ne pas gaspiller les ressources en précieux combustibles. Dès 1940, les Allemands demandaient que fussent utilisées les machines les plus performantes afin d’économiser le charbon.

La période d’Occupation amenait à reconsidérer les lieux d’approvisionnement mais surtout la qualité du produit. Les difficultés considérables d’approvisionnement liées à l’arrêt des importations de charbon n’avaient pas permis de constituer un stock minimum, nécessaire pour l’entrée dans l’hiver 1941. Au 5 décembre, le stock était de 10 362 tonnes. Afin de le reconstituer, il avait été décidé d’arrêter toute l’industrie du 20 décembre au 4 janvier, sauf l’industrie indispensable, notamment liée à l’alimentaire. Un apport exceptionnel fut obtenu par la direction de l’Électricité pour décembre et janvier (PV du CA de la SEP, séance du 12 décembre 1941, EDF archives, boîte 757071) en attendant les pluies providentielles provenant du Massif Central pour remplir les réservoirs. Cette sécheresse continue en devint paradoxale car habituellement l’électricité d’origine hydraulique alimentait les centrales thermiques, faisant de celles-ci des usines d’appoint. Mais devant cette situation critique, la région parisienne approvisionna en électricité thermique la zone Sud.

Contrairement à l’hiver 1941, en raison de la douceur saisonnière d’avril à juin 1942, les résultats se voulaient rassurants. Une amélioration très sensible se manifesta en ce qui concerne la production.

L’interconnexion jouait donc à nouveau dans le sens normal pour laquelle elle avait été prévue et la consommation de charbon s’était abaissée au cinquième de ce qu’elle était pendant les jours les plus critiques du mois de février, permettant la reconstitution du volant pour assurer la régularité de fourniture du courant. Au regard des rapports préfectoraux et des PV des CA de la SEP, sources historiques particulièrement riches, les stocks de charbon entre mars et juin avaient pu être reconstitués ; les parcs à charbon de la centrale à la contenance maximale de 30 000 tonnes étaient pleins. Les moments les plus pénibles à gérer pour la SEP furent l’état caniculaire de 1942 et l’hiver très rude de 1942-1943, périodes très opposées dans le temps, mais qui valut une politique énergétique et de production identique. Le mois de juin 1942 accusait une sécheresse persistante dans le Massif Central, diminuant irrémédiablement le transfert de courant d’origine hydraulique dont la centrale avait cruellement besoin pour reconstituer son stock en vue de préparer l’hiver. En effet, les réserves en combustible qui étaient de 43 733 tonnes au 1er juin, sont descendues progressivement jusqu’à 6 997 tonnes le 19 août (PV du CA de la SEP, séance du 25 septembre 1942, EDF archives, boîte 757071).

Les mois de décembre 1942 et janvier 1943 furent très difficiles à surmonter. En effet, l’hiver 1942-1943 avait été le plus froid connu depuis 1890-1891, ce qui augmenta les besoins en combustibles solides pour assurer le chauffage de la population afin qu’elle ne mourût point de froid. En conséquence, la centrale de Saint-Denis connut une marche très poussée par suite de la raréfaction des matières d’entretien et la fatigue du matériel soumis à un strict régime au cours de cet hiver demeuré dans les mémoires. Au 10 décembre, le stock était de 5 203 tonnes (PV du CA de la SEP, séance du 17 décembre 1942, EDF archives, boîte 757069). Fort heureusement, une poussée précoce de l’hydraulicité dès le 15 janvier permit de sauver la situation, permettant d’augmenter les stocks de charbon au sein du parc des centrales (29 854 tonnes à Saint-Denis au mois de février).

Fin 1943, l'activité de la centrale de Saint-Denis est marquée par le ralentissement de sa production provenant d’un manque de fournitures hydrauliques dont les lignes de transport sont l’objet d’attentats récurrents et de destructions causées par les attaques aériennes. Les faits de guerre paralysent le réseau d’interconnexion national. A cela s’ajoutent les bombardements de plus en plus fréquents des infrastructures minières qui empêchent les centrales thermiques d’être approvisionnées d’où les chutes vertigineuses des stocks qu’elles enregistrent notamment en juillet 1944, cantonnés à la portion congrue et notoirement insuffisants pour un fonctionnement journalier classique (2 204 tonnes en juillet 1944 pour Saint-Denis ; PV du CA de la SEP, séance du 12 juillet 1944, EDF archives, boîte 757071).

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