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Marcel Paul, de l’Assistance publique au banc de l’Assemblée en passant par Buchenwald : une figure syndicale et communiste - 3ème partie

Une légitimité d’après-guerre : un engagement réinvesti…

 

L’expérience de la Résistance et de la déportation porte la singularité de marquer le reste d’une vie et de la nourrir d’une honorable légitimité. Mais aussi de faire l’objet d’opérations de dénigrement à des fins de déstabilisation, notamment politique. Ou à effectuer un rééquilibrage pour mieux tendre vers une forme de vérité historique ?

Dès le défilé du 1er mai 1945, le PCF place à l’avant-scène « ses » résistants et déportés ainsi que l’illustre la relation de cette journée par L’Humanité :

« L’émotion est à son comble quand s’avancent, leurs traits portant les traces de leur martyre, les déportés des camps nazis. On reconnaît difficilement Octave Rabaté, Henriette Mauvais, Marcel Paul. Et, parmi la sympathie générale, des dizaines de nos héroïnes, prennent place à la tribune, cependant que les rapatriés de Buchenwald et des grands blessés de notre armée en uniforme, se massent aux pieds des tréteaux ».

Place de la Nation, Marcel Paul, fortement amaigri, est parmi les cinq orateurs de la CGT, encadrés par des déportés. Peu après, il part prendre un peu de repos dans un établissement de cure à Cauterets, avant de retrouver ses responsabilités à la direction de la Fédération CGT de l’Éclairage, avec une autorité et une légitimité renforcées. Parallèlement, au sein du PCF, il connaît une soudaine ascension s’expliquant doublement. D’une part, le parti utilise et fait fructifier dans le champ politique la popularité que lui confère son engagement dans la Résistance, pour l’essentiel à compter de juin 1941 et de l’invasion de l’URSS par les armées allemandes ; pour cela, il lui faut des figures de proue, Marcel Paul en est une. D’autre part, le secrétaire général du PCF, Maurice Thorez, a lui-même besoin de s’entourer d’une sorte de cordon sanitaire de légitimité résistante, dans la mesure même où il est conscient de la faiblesse politique que constitue sa présence en URSS durant la majeure partie de la guerre et son retour tardif au pays (une fois le territoire français entièrement libéré).

En juin 1945, Marcel Paul, qui n’avait jamais figuré dans les structures de direction de son parti, est donc « élu » au Comité central du PCF au cours de son Xème congrès, durant lequel Thorez l’évoque parmi ceux dont le parti peut être « fier ». Le mois suivant, le 24 juillet, il est délégué à l’Assemblée consultative provisoire. Le 21 octobre, il est élu député de la Haute-Vienne à l’Assemblée nationale constituante (réélu en juin 1946 mais démissionnaire en 1947). Le choix de ce département n’est pas anodin et peut lui aussi être relié au passé récent de Marcel Paul. La Haute-Vienne est en effet le département de Georges Guingouin, maire PCF de Limoges (1945-1947) et postulant à la députation, qui a tardé à « déposer les armes » en dépit des consignes de son parti, et dont Thorez n’aura de cesse de se méfier. Or, pour imposer les directives de la direction communiste dans un territoire insubordonné, une figure auréolée de son action résistante paraît tout indiquée. Enfin, toujours dans le champ politique, le PCF fait de Marcel Paul l’un de ses candidats ministres.

Avec succès, puisque le 19 novembre, il effectue son entrée au gouvernement comme ministre de la Production industrielle. De Gaulle, alors chef du Gouvernement provisoire de la République française et difficilement taxable de connivence avec les communistes, lui reconnaît un courage et une réelle droiture dans ses convictions. Paul raconte ainsi le processus de sa nomination, dans un texte rédigé à l’occasion du 35ème anniversaire de la nationalisation de l’électricité et du gaz, son œuvre maîtresse à ce poste, qu’il occupe jusqu’à la fin de l’année 1946 :

« Membre de l’Assemblée consultative et élu en 1945 au retour d’Auschwitz et Buchenwald, membre de l’Assemblée constituante, le Comité central du Parti communiste retenait mon nom pour le représenter avec d’autres députés (…) au sein du gouvernement de De Gaulle. Pour l’histoire, il faut dire que le général De Gaulle avait demandé plusieurs noms pour chaque poste, le mien fut retenu pour l’Industrie et le Commerce par le président du gouvernement de la République ».

La « sélection » de De Gaulle n’est guère surprenante, considérant le passé de résistant et de déporté d’un homme qu’il est d’ailleurs venu accueillir en personne à l’aéroport à son retour de Buchenwald. Plus profondément et pour le reste de son existence, les évènements vécus pendant la guerre marquent l’itinéraire et les activités de Marcel Paul. Il n’oublie pas et ne veut pas qu’on oublie. Tout d’abord, il est appelé à témoigner au procès du maréchal Pétain. Il évoque dans sa déposition les conditions d’enfermement des détenus politique de Fontevrault :

« Nous étions plus maltraités que les plus grands criminels de droit commun. De cela, le gouvernement est directement responsable ; car il ne s’agissait pas d’initiatives individuelles de directeurs de prison, mais bien de directives reçues du gouvernement de Pétain ».

Puis il ajoute, à propos d’Auschwitz et de Buchenwald :  

« Je ne parlerai longuement ni d’Auschwitz ni de Buchenwald, ni des chambres à gaz, ni des camps de destruction où sont morts des dizaines de milliers de nos compatriotes. C’est trop dur. Mais ce qu’il y avait d’atroce, c’est que ces Français avaient été livrés par un gouvernement qui se disait français. Il n’est pas possible que ces morts n’obtiennent pas justice. La responsabilité de tous ces crimes incombe totalement au gouvernement de Vichy et, en premier lieu, à son chef, l’accusé qui est devant vous, devant qui tous les ministres étaient responsables ».

Sa position sur le maréchal constitue un point d’achoppement insurmontable avec le général De Gaulle et une des raisons expliquant sa démission relativement précipitée de son ministère. Paul aurait voté la mort sans vergogne cependant que De Gaulle usera de son droit de grâce pour sauver la tête de celui qui fut le héros de Verdun mais aussi un temps son professeur à l’Ecole de Guerre.

A la même période, il se montre déjà actif dans sa volonté de contribuer au rassemblement de ceux qui ont vécu ensemble ces expériences indélébiles. Ainsi, en octobre 1945, il est cofondateur de la Fédération nationale des internés résistants et patriotes (FNDIRP). En février 1946, il est en outre des fondateurs du Comité provisoire des déportés de tous les camps, qui accouchera plus tard de la Fédération internationale des anciens prisonniers politiques.

Jusqu’à sa mort, il reste très actif au sein de ces structures, en particulier la FNDIRP. Son engagement est d’autant plus intense à partir du moment où il n’exerce plus de responsabilités syndicales de haut niveau. A la fin de l’année 1962, il tombe malade et se retrouve écarté de la Fédération de l’Éclairage suite à des dissensions intérieures. Certes, en mars 1963, il est réélu secrétaire général de son organisation alors qu’il est parti se faire soigner en URSS. Mais Roger Pauwels assure l’intérim et Paul abandonne ensuite ses responsabilités au sein de la Fédération. A compter de cette année, Marcel Paul recentre ses activités autour de la FNDIRP et le Comité international des rescapés de Buchenwald-Dora, deux structures dont il est président.

 

…Et régulièrement contesté

 

Toutefois, le riche passé de résistance et de déportation de Marcel Paul est régulièrement l’objet de controverses qui se poursuivent y compris après sa mort. Et cela commence tôt, dès le printemps 1946. L’hebdomadaire du très anti-communiste Parti républicain de la liberté, Paroles françaises, publie le 27 avril 1946, un article fondé sur le témoignage d’un Anglais, CH. Burney, intitulé : « Quand les communistes régnaient à Buchenwald ». Dans cette déclaration aux faux airs de pamphlet, les communistes, et à travers eux, Marcel Paul, sont accusés d’avoir laissé massacrer nombre de leurs concitoyens. Dans les semaines qui suivent, l’hebdomadaire lance un questionnaire dont certaines interrogations sont manifestement destinées à toucher directement Marcel Paul :

« Qui est, à votre avis, ce mystérieux chef du comité communiste, ancien conseiller municipal, dont CH. Burney donne une aussi horrible description ? Pensez-vous qu’un homme contre lequel une aussi redoutable accusation a pu être portée dans un ouvrage publié puisse détenir une autorité gouvernementale sans s’être pleinement justifié ? ».

A chaque fois que Marcel Paul est attaqué sur son comportement dans les camps, les accusations sont toujours les mêmes et la riposte prend également continuellement des atours identiques : des déportés de toutes tendances témoignent en sa faveur, tel le célèbre industriel Marcel Bloch plus connu sous le nom de Marcel Dassault, l’un de ses plus indéfectibles soutiens. Le contenu de ces témoignages de défense répond bien entendu directement à celui de l’accusation, comme le montre le Livre blanc sur Buchenwald, qui reproduit des textes de soutien au responsable communiste diffamé. Julien Cain, ancien administrateur général de la Bibliothèque national, écrit ainsi :

« (…) pendant notre séjour à Buchenwald, il m’est arrivé, à plusieurs reprises, de signaler (…) à Marcel Paul, la situation de certains de nos camarades qui, à cause de leur âge ou de leur état physique, avaient particulièrement besoin d’être soutenus. Qu’il s’agît de leur procurer un travail moins pénible (…) et surtout de leur éviter l’envoi dans un Kommando de transport (…). Soucieux en particulier, comme il était naturel, de la situation de mes collègues de l’Université, j’ai été heureux de constater que vous avez réussi, dans un grand nombre de cas, à leur éviter ce que je redoutais pour eux ».

 Et Marcel Dassault, pourtant notoirement peu porté sur l’idéologie communiste, de résumer :

« (…) pendant ma présence dans ce camp, j’ai été témoin du dévouement sans limites des communistes français, et en particulier de Marcel Paul. Dès l’arrivée à Buchenwald, leur solidarité se manifestait, et des mourants des suites des transports ont été, par eux, sauvés et cela sans discrimination d’appartenance politique ».

Au cours de ces temps de Guerre froide, l’intensité de l’affrontement politique est telle que Marcel Paul se voit par ailleurs dénier jusqu’à son engagement de guerre. En 1954, le ministre des Anciens combattants, André Mutter, écrit ainsi à Marcel Paul que le titre de résistant ne pouvait lui être reconnu, « considérant que l’ensemble des documents du dossier établit que votre arrestation a été la conséquence d’une activité politique et non résistante ».

La mort de Marcel Paul ne tarit pas pour autant le flux de la controverse ou de ce que Pierre Durand appelle plus prosaïquement « l’air de la calomnie ». Le meilleur exemple en est sans doute les procédures judiciaires intentées à l’encontre de Laurent Wetzel, attaqué notamment par la FNDIRP. Deux procès ont lieu en 1984-1985. Cet élu de la droite républicaine (plus tard du Front national), est alors conseiller municipal à Sartrouville, mais aussi professeur agrégé d’histoire. L’affaire débute lorsqu’il écrit qu’il n’irait pas à l’inauguration de la rue Marcel Paul, car :

« Déporté à Buchenwald, Marcel Paul entra à la direction du camp. Il disposa ainsi du sort, c’est-à-dire de la vie ou de la mort, de nombreux camarades de déportation. Dans ses fonctions, il tint compte essentiellement de l’intérêt de son Parti ».   

Pour ces propos, Laurent Wetzel n’est pas condamné, bénéficiant d’une position de la justice qui considère que les historiens de professions « pourront toujours bénéficier de la possibilité de prouver leur bonne foi, donc la vérité de leurs écrits ». Sauf que Laurent Wetzel a tenu ces propos lors d’un conseil municipal sartrouvillois, c’est-à-dire en tant qu’élu et non historien. Certainement gênée aux entournures, la justice botte donc en touche.

On l’aura compris, la bataille des mémoires et du souvenir autour de Marcel Paul est rude. Et il n’est certainement pas un hasard si, en 1985, à la suite de « l’affaire Wetzel », la FNDIRP crée un prix Marcel Paul avec une dotation de 15 000 francs récompensant un étudiant auteur d’un mémoire de maîtrise (désormais relevé au master 2) consacré à la Résistance ou à la déportation. La première lauréate, Judith Vernant est couronnée en 1988. Elle dédiera ce prix à son grand-père, déporté politique décédé à Auschwitz.

L’accusation contre l’action des communistes et de Marcel Paul à Buchenwald connaît, après les procès Wetzel, quelques autres soubresauts récurrents. Comme en octobre 1986, lorsque sur France 2, Pierre Nivromont, un ancien déporté français pour faits de résistance, matricule 186140, rappelle devant les caméras :

« A Buchenwald, les communistes faisaient la loi. Tous les bons postes étaient pour eux. Quand un convoi arrivait, les communistes étaient tout de suite sortis des rangs pour être mis dans les bonnes planques (…) Marcel Paul a dit à mon père « t’es pas de chez nous, tu peux crever et ton fils avec ! » ».      

Manifestement, la situation qui régnait dans ce camp n’a pas été vécue de la même manière par tous. Et il semble difficile de démêler le vrai du faux, à plus forte raison lorsque l’on sait que derrière le paravent de cette polémique se cache d’évidents règlements de compte idéologiques, politiques voire personnels.

Quoi qu’il en soit, la célébration de la figure de Marcel Paul s’est poursuivie régulièrement jusqu’à nos jours et paraît pleinement justifiée, les décisions de justice successives n’entravant nullement ce constat. En témoignent quelques noms de lieux publics, de rues, le timbre à son effigie mis en vente en 1992, ou encore les hommages réguliers d’associations de déportés et résistants, d’auteurs engagés, de son parti politique, comme pour les trente ans de son décès en 2012, de la CCAS ou encore de sa fédération syndicale.

Ironie de l’histoire, c’est tout juste après la cérémonie du 11 novembre 1982 à l’Arc de Triomphe, où il représente le FNDIRP, que Marcel Paul meurt à son domicile de L’Île-Saint-Denis. Quelques mois plus tôt, il avait été nommé officier de la Légion d’honneur. Parmi les prises de parole à ses obsèques, on relève celles de Louis Terrenoire (FNDIRP), de Jean Lloubes (ancien déporté communiste), de l’association Buchenwald, de Robert Sheppard (ancien agent secret britannique déporté dans divers camps), des Comités internationaux des camps…

La guerre, la déportation, Marcel Paul les a vécues en résistant tout court, mais aussi et peut-être surtout en syndicaliste et en communiste résistant. Avec une énergie et une force de caractère qui marque d’une manière générale sa personnalité d’avant-guerre et d’après-guerre, mais que les événements des années sombres lui permettent ou, plutôt, le contraignent à exercer de manière décuplée.

Les polémiques qui ne tardèrent pas à éclore une fois la guerre finie produisent autour de lui un discours manichéen : d’un côté, le démon communiste qui envoie volontiers à la mort ceux qui ne le sont pas ; de l’autre, et souvent en réaction, le héros célébré, quitte peut-être à forcer légèrement le trait glorieux de son action.

Mais alors, qui est Marcel Paul dans tout cela ? Il est un militant qui a traversé une période et des lieux où les zones grises tendent à occuper davantage d’espace que le tout blanc ou le tout noir.

Il est aussi plus que jamais une personnalité qui, sans doute, humainement, protège la vie de ceux qu’il a connus avant-guerre ou de ceux qui ont cheminé avec lui durant son périple concentrationnaire. Mais il est tout autant acquis qu’il n’érige pas cette attitude en système : la multiplicité des témoignages l’atteste, il est attentif à toutes les souffrances. Au fond, il est un homme qui cherche à conserver sa part d’humanité à l’intérieur d’un système qui s’emploie sans relâche à la broyer.

Et ce n’est sans doute pas un hasard si lors de ses obsèques, sa sépulture est veillée avec respect et déférence par des résistants et déportés. C’est donc bien cette dimension de son action qui est alors placée en exergue. Et le motif pour lequel nous avons souhaité nous y attarder.  

 

Sources :

R. Gaudy, « Paul Marcel », dans M. Dreyfus (dir.) Gaziers-électriciens, le Maitron, s.d.

A. Lacroix-Riz, « Unitaires et confédérés d’une réunification à l’autre », Cahiers de l’Institut de recherches marxistes, n°15, octobre-décembre 1983.

M. Dreyfus, Histoire de la CGT. Cent ans de syndicalisme en France, Bruxelles, Complexes, 1995.

Interview de Marcel Paul par Henri Alleg, citée par P. Durand, Marcel Paul. Vie d’un « pitau », Paris, Messidor/Temps Actuels, 1983.

O. Lalieu, La zone grise ? La Résistance française à Buchenwald, Paris, Taillandier, 2005.

S. Sirot, Maurice Thorez, Paris, Presses de Sciences Po, 2000.

S. Sirot, Électriciens et gaziers en France, une histoire sociale XIX-XXIème siècles, Condé-sur-Noireau, éditions Arbre bleu, 2018.

Les Cahiers de l’Institut d’histoire sociale Mines-Energie, n°12-13 et n°18, mai 2006.

Un secteur de la Résistance française. Le livre blanc sur Buchenwald, Paris, Les Éditions de la déportation et de la Résistance, 1955.

L’Humanité, éditions du 3 mai 1945, du 1er août 1945, du 7 février 2004, du 9 novembre 2012.   

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